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Ergonomie et conception : notes sur l’ouvrage « Concevoir le travail, le défi de l’ergonome »

(ouvrage  de F.Guérin, V.Pueyo, P.Béguin, A.Garigou, F.Hubault, J.Maline, T.Morlet, édité en avril 2021 chez Octares)

Le titre de l’ouvrage évoquant la conception et sa filiation avec « Comprendre le travail pour le transformer » sont des éléments suffisants pour s’intéresser à ce livre et l’acheter en ligne sur le site d’Octares.

Néanmoins, les ergonomes-concepteurs n’y trouveront pas les repères théoriques utiles à un nouvel exercice du métier : concevoir plutôt que préconiser. Ce distinguo et les aspects critiques qui vont de pair font l’objet du présent article.

Malgré les réserves exprimées ci-dessous sur le manque de développement au sujet de l’ergonomie de conception proprement dite, les étudiants et jeunes ergonomes trouveront dans cet ouvrage de nombreux repères utiles à une ergonomie « classique » de préconisations.

Des compléments à cet ouvrage sont proposés, à défaut d’autres sources identifiées, sur la page ergonomie et conception du site Action-ergo.

L’ergonome reste un acteur et ne devient toujours pas un concepteur

chapitre « La conception » (p193-203)

L’ergonome comme acteur de la conception et non comme concepteur

En se précipitant sur le chapitre « La conception » (p193-203), il est possible de noter, p193, que cet ouvrage a le mérite de préciser qu’une « intervention ergonomique ne […] se contente pas de produire des connaissances sur les situations de travail [mais qu’] elle vise l’action. Et cette action relève d’une démarche de conception. ».

L’ensemble du chapitre positionnera l’ergonome comme un acteur de la conception, autrement dit un contributeur parmi d’autres du processus de conception.

Ce mérite est cependant bien modeste, car depuis quelques décennies déjà, de nombreux ergonomes (pas tous hélas) sont identifiés comme des acteurs de la conception.

L’ergonome peut néanmoins être plus qu’un acteur-contributeur, mais un concepteur à part entière. La particularité de ce concepteur est d’initier la conception par la prise en compte du fonctionnement humain et de s’appuyer sur de nombreux acteurs de conception (bureau d’étude, service méthode, Ingénieur HSE, etc.) pour définir précisément la situation future de travail.

Ce positionnement est encore trop rare, mais il existe. Il est dommage qu’aucun ouvrage ne propose de réflexion sur cette forme d’exercice du métier.

Une limite dans la manière de penser la conception : l’analyse comme seul horizon

La conception en ergonomie n’est pas traitée dans cet ouvrage parce que le processus de conception n’est pas pensé, et ceci parce que l’ergonome n’est pas considéré comme un concepteur, mais comme un analyste.

Le paragraphe de fin de page 195 et début de page 196, est assez révélateur d’une limite dans la manière de penser la conception ; il explique que l’analyse du travail actuel sera obsolète à l’avenir du fait du projet de transformation et que le travail futur ne peut être analysé en projet puisque la situation n’existe pas encore ; en résumé le passé est derrière nous et l’avenir n’est pas présent. De ces lapalissades, les auteurs concluent que ceci constituerait un paradoxe méthodologique pour l’ergonomie de conception.

Ce peut être un paradoxe pour un ergonome qui n’envisage comme contribution qu’une analyse de situations ou de proposition de conception faites par d’autres.

En effet, à aucun moment ne sont évoquées les phases essentielles où l’ergonome

  • * réfléchit et recherche des solutions au regard de ce qu’il a compris des enjeux, des besoins et des contraintes techniques et budgétaires ;
  • * recherche des informations complémentaires (de façon proactive) auprès de tous les acteurs concernés ;
  • * produit des propositions d’axes de travail et de solutions, qui, phase après phase, validation après validation, deviennent des solutions de conception définissant ce que devra être la situation future de travail.

Passer à côté de tout cela présente une limite importante.

Une limite qui conduit à des contre-vérités

Dans la suite du paragraphe, il est écrit (toujours page 196) :

  • * qu’un « des enjeux de la conception est de produire des connaissances sur ce qui n’existe pas encore.
  • * Et l’analyse du travail n’est pas la méthode la mieux adaptée pour y parvenir.
  • * C’est la simulation qui permettra de relever ce défi».(c’est-à-dire de pouvoir mener une analyse temporellement située entre l’analyse de l’existant et l’analyse de la situation future).

Rien ne semble juste dans ces trois phrases. Pour le dire du point de vue d’une ergonomie de conception :

  • * l’enjeu de la conception ne consiste pas à produire des connaissances, mais à résoudre des problèmes, imaginer des solutions en tenant compte de multiples contraintes et effectuer des choix pertinents pour définir ce qui n’existe pas encore.
  • * Ces choix pertinents se fondent sur des connaissances issues de l’analyse des situations de travail actuelles ou de références ; ceci reste la meilleure méthode pour prendre en compte le fonctionnement humain dans la conception.
  • * La simulation permet de tester la pertinence des choix qui sont faits (choix auxquels l’ergonome doit au moins contribuer et sur lesquels il doit se prononcer par un accord ou un désaccord).

« Concevoir le travail », que penser d’un tel titre ?

Ce qui est développé dans cet ouvrage est l’accompagnement de la conception par des étapes au cours desquelles des analyses sont réalisées à partir de propositions faites par d’autres et des préconisations sont formulées. L’ergonome reste extérieur à la conception proprement dite, se limitant à n’être qu’un acteur collatéral.

Mais analyser et préconiser ne suffit pas pour concevoir. Concevoir est plus que préconiser. Concevoir c’est se situer à la source de l’action, préconiser c’est intervenir en aval.

Qu’est-ce qui peut empêcher l’ergonomie de conception ?

1-Travail prescrit vs travail réel, un modèle pour l’analyse et non pour la conception

De la page 32 à la page 36, il est dommage de ne pas avoir saisi l’occasion d’approfondir la réflexion sur ce que l’on fait de ce fameux écart entre travail prescrit et travail réel dans le cadre de la conception du travail :

  • Si l’écart est considéré comme irréductible, quelle conception dans ce cadre d’analyse ?
  • Si l’écart est considéré comme étant à réduire, une ergonomie de conception aurait-elle la prétention d’un résultat sans écart ?

Cette approche est-elle opérante en conception ? Si oui, de quelle façon ? Si non, pourquoi ?

En quoi l’écart serait-il intrinsèquement un problème ?

« Concevoir le travail » n’implique-t-il pas de le prescrire ?

Une prise de recul sur prescrit/réel aurait pu être développée afin de permettre à certains ergonomes de sortir d’une logique de simple mise en éclairage pointant facilement les écarts qui seraient la marque d’une insuffisance de l’entreprise. Il est dommage de ne pas avoir relié ce chapitre avec le chapitre « Travail prescrit et activité » (p 103) qui précise que « les prescriptions sont tout aussi « réelles » que l’activité… » et rappelle la diversité des sources de prescriptions et leur possible incohérence.

L’idée consistant à laisser le prescrit à d’autres pour se concentrer sur un travail réel, dont l’analyse révèle qu’il n’a pas été suffisamment pris en compte, conduit à une ergonomie de l’analyse sans transformation (qui n’assume rien, hormis la critique).

Peut-être est-ce cela qui fonde cette fausse idée de « paradoxe méthodologique » reprise dans le chapitre « conduite du projet de conception » page 207. En effet, comment travailler en projet si le seul livrable réside dans l’analyse du travail réel ?

2-Le positionnement d’animateur de l’ergonome évite la responsabilité de la prescription

Une compétence métier inenvisagée :

Le sous-chapitre « Quelques principes sous-jacents à l’intervention », p 110 à 118,

indique qu’ « intervenir c’est transformer » et pour cela deux façons de faire sont proposées :

  • « le mode de la prestation qui positionne l’ergonomie plutôt en terme d’apport de solutions, selon une logique d’expertise» conduisant à des « schémas opératoires d’interventions standardisées »
  • « le mode la relation de service» impliquant « une démarche clinique [qui] permet de faire produire, par les sujets acteurs, une compréhension de la situation […] pour qu’elle soit transformée et acceptée. »

Cette opposition semble très caricaturale :

Une logique d’expertise indépendante du contexte social et de toute analyse clinique des situations peut-elle être qualifiée d’intervention en ergonomie ? Une intervention peut-elle être standardisée ?

Pour l’autre approche, que les sujets acteurs comprennent la situation n’implique pas nécessairement qu’une solution de transformation pertinente soit trouvée.

=>N’y a-t-il donc rien entre l’expert isolé de tout contexte et le libérateur en chef de la parole collective ?

Ce type de présentation positionne l’ergonome comme un animateur ; il est (devrait être) plus que cela.

Il est évoqué, p112, qu’« une « belle » invention peut- ne pas être utilisée par les opérateurs ». Mais du point de vue de qui s’agirait-il d’une belle invention si celle-ci n’est pas utilisée ? Un dispositif qui n’est pas utilisé est la marque d’une erreur de conception ; le dispositif ne satisfait pas les besoins ; son utilisation est moins satisfaisante que sa non-utilisation. En quoi ceci relèverait-il d’une belle invention ?

Un dispositif non utilisé ne pourrait-il pas être le fruit d’un travail collectif d’utilisateurs ? Ce collectif ne pourrait-il pas imaginer des solutions qui finalement se révèlent inadéquates et non utilisées ?

Le collectif ne garantit probablement pas la pertinence du résultat ; pas plus qu’un expert autiste.

=>Entre l’expert autiste et le gentil animateur de collectif ne pourrait-il pas exister un ergonome de métier qui, du fait de ses compétences métier, s’engage sur la pertinence des solutions envisagées ?

L’ergonome devrait se responsabiliser sur l’efficacité des solutions. Une transformation manquée est bien de sa responsabilité s’il n’a pas alerté clairement sur les faiblesses des orientations prises, et ceci, quelles que soient les positions de quelques acteurs que ce soit, y compris celles des utilisateurs.

Une quête d’irresponsabilité :

chapitre « La conduite de projet de conception » (p203-221) :

Dans ce chapitre, à la page 216, on peut lire que la simulation « ne définit pas comment les opérateurs devront travailler », mais qu’elle « aide […] à vérifier […] s’il existe des modes opératoires efficaces et sans effets défavorables »

Si l’efficacité est vérifiée de même que l’absence d’effets indésirables, n’est-il pas possible d’envisager de valider la conception prévue ?

Ce faisant, cela ne revient-il pas à définir comment les opérateurs devront travailler ?

Une hypothèse concernant cet évitement est qu’il permet d’éviter le risque de se tromper en validant la façon dont est envisagé auprès des équipes projet ; il est plus confortable de relever les grosses difficultés s’il y en a et ne s’engager à rien lorsque cela semble satisfaisant.

Mais alors comment répondre aux attentes légitimes de validation des équipes projet ?

La réponse se trouve quelques lignes après : « En effet, la simulation des conditions de réalisation de l’activité de travail, mise sur la capacité des futurs opérateurs à exprimer, objectiver des points de vue et proposer des solutions relatives à une situation à concevoir ».

Voilà, ce sont bien les utilisateurs qui proposent des solutions surtout pas l’ergonome… en cas d’erreur de conception le collectif assumera. Ainsi l’ergonome, « acteur essentiel de la conception » se préserve de toute critique en renvoyant la responsabilité, selon les circonstances, à l’équipe projet qui n’aurait pas suivi exactement les orientations proposées ou aux choix des utilisateurs.

L’ergonome est préservé quoiqu’il arrive… Ceci explique peut-être les limites pour penser une ergonomie de conception.

Dans l’œil de l’ergonome, une illustration du métier par des ergonomes-conseil

Une série de vidéos ont été commandé par le CINOV ergonomie, pour illustrer le métier d’ergonome-conseil.
On y trouve l’explication d’une première étape d’analyse des situations de travail et d’un travail de formalisation en bureau, puis une recherche de solution avec l’ensemble des parties prenantes du projet.

 

La première vidéo concerne l’amélioration d’une ligne d’ensachage de foin de l’exploitation du Mas de l’Aqueduc.
La mission a consisté à accompagner l’entreprise dans la recherche et la mise en œuvre de solutions mécanisées pour améliorer tout autant les conditions de travail que la performance de l’entreprise.

La seconde vidéo concerne une intervention sur un projet de réaménagement de bureaux et d’espaces de formation du Centre Belle Alliance.
Sur la base d’une analyse des situations actuelle, la recherche des solutions d’aménagement a été réalisée en groupe de travail avec l’aide d’une maquette permettant de simuler l’activité future pour valider un scénario d’implantation. Ce travail a permis d’établir un cahier des charges précis à l’intention d’un architecte.

Vous pouvez trouver un cabinet-conseil en ergonomie sur la page annuaire du CINOV ergonomie.

Information master Ergonomie

Bonjour,

Je suis étudiante en licence 3 option ergonomie à Rennes 2, je suis actuellement un peu perdue pour mon orientation future. En effet il y a une multitude de possibilités de choix de Master. Je souhaite m’orienter vers un Master ergonomie généraliste et m’éloigner du cursus IEAP plutôt axée recherche.  Je compte postuler aux Masters de Bordeaux ainsi que Lyon.

Je suis à la recherche d’étudiant de différents Masters afin de pouvoir échanger, je pense que c’est la meilleure solution pour me faire un avis objectif sur ce que propose les différentes formations. Si vous avez des informations vous m’aideriez beaucoup notamment pour le Master à Albi, Lyon Marseille… Merci d’avance 🙂

Vous pouvez me contacter sur Facebook : Coline DUPE

ERGONOME JUNIOR CERTIFIE.E

Comment choisir votre Master ergonomie?

La plaquette suivante vous présente les 14 Masters ergonomie vous permettant d’obtenir le label ERGONOME JUNIOR CERTIFIE.E /

Accéder à la plaquette EJC

Vous trouverez des informations complémentaires sur le site artee.com

meuble (bureau) en recherche d’ergonomie

Je veux créer une entreprise de création de mobilier bois sur mesure, principalement centré sur les bureaux, dans une démarche éco responsable, fonctionnel (donc dit ergonomique) et design.

Ébéniste de formation. CAP, Bac pro et DMA Diplôme des Métier d’Arts art de l’habitat option Ebénisterie.
J’ai donc l’envie de travailler en collaboration avec des/une/un professionnel de l’ergonomie.

Pourriez-vous je vous prie répondre à mes enquêtes ou à minima me recontacter afin d’échanger de vive voix. En vous remerciant d’avance

1: Création de mobilier pratique
Si vous êtes ergonome ou ergothérapeute celui-ci en plus :
2: Mobilier en recherche d’ergonomie
 
Geoffroy Payre 
 
geoffroy.payre@gmail.com
 
PS: 
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Enquête sur les TMS en entreprise

Bonjour,

Je suis étudiante en Master Ingénierie et Ergonomie des Activités Physiques à l’Université Savoie Mont-Blanc. Par ce cursus je me spécialise dans la motricité humaine, avec l’option l’Interface Homme-Environnement qui se rapporte à l’ergonomie. Ce master m’apporte des compétences en ergomotricité et analyse des facteurs biomécaniques des risques professionnels.

Dans le cadre de mon mémoire, je souhaite recenser des informations quant à la problématique des troubles musculo-squelettiques en entreprise, par un retour d’expérience des acteurs de la prévention.

Ainsi, vous trouverez en cliquant sur le lien ci-dessous un questionnaire en ligne (anonyme) à ce sujet :
https://goo.gl/forms/L5jr98IdqSagK2RQ2

 

Je vous remercie par avance pour votre réponse et votre contribution à mon étude.
Vous souhaitant une agréable journée,

Cordialement
Alexane VIDALIE
M2 IEAP – USMB
06 64 26 70 98

Les grilles d’évaluation ergonomiques et cartographie de postes (publié en 2012)

1     Introduction

Laissées de côté dans le débat depuis quelques années, les grilles d’analyse ergonomiques reviennent dans l’actualité depuis la loi sur la pénibilité du 9 novembre 2010 qui oblige les entreprises à évaluer la pénibilité des postes et à mettre en place des plans d’action. Même si les critères d’évaluation ne sont pas très précis, l’aspect quantitatif lié au nombre de postes jugés « pénibles » se prête bien à l’usage de méthodes simples de quantification et d’évaluation pour réaliser des cartographies de la pénibilité des postes.

Le site gouvernemental travailler-mieux.gouv.fr prend les devants en créant différentes fiches explicatives dont deux d’entre elles présentent des grilles pour l’évaluation de la pénibilité : OREGE, OSHA, ADAPT-BTP, Muskatms, OCRA, enquête SUMER. D’autres, non citées, existent aussi : OWAS, APACT, RULA, NIOSH, méthode de Renault et PSA Peugeot-Citroën, grille du LEST, etc.

D’autres thématiques ont induit ce type de référence à des grilles d’analyse et d’évaluation : la prévention des risques professionnels, la mobilisation pour réduire les troubles musculo-squelettiques, même les risques psychosociaux sont parfois évalués à l’aide de grilles / questionnaires (Karasek, Siegrist, GHQ12, WOCCQ de l’université de Liège, Leymann, etc.).

Que penser de ces grilles d’analyse ? Peuvent-elles éclairer les questions de pénibilité du travail ? Peuvent-elles contribuer à évaluer des risques de troubles musculo-squelettiques ?

Le but de cette communication est de faire le point sur les grilles, leurs usages et de développer une position alternative aux pro-grilles et anti-grilles d’évaluation.

La première partie présente les différents types de grilles et les logiques qui sous-tendent leur élaboration et leur usage. La seconde partie présente les différents biais, limites et écueils qu’il est possible de constater dans l’usage de ces outils d’évaluation. Enfin, les dernières parties sont consacrées à l’intérêt qu’elles représentent et aux éléments de méthodes utiles à leur élaboration et leur usage. Le propos se termine par la présentation d’un exemple simple.

La thèse développée ici consiste à considérer que les grilles sont tout à fait utiles et pertinentes dès lors que l’outil d’analyse est utilisé en cohérence avec ce qu’il peut apporter. Pragmatisme, efficacité et rigueur méthodologique sont des notions compatibles.

Pour mettre en place une démarche d’évaluation des postes de travail à l’aide d’une cartographie des postes, vous pouvez faire appel à la société Action-ergo (http://www.action-ergo.fr/i-ergonomie-evaluation-quantification.html).

2     Les méthodes d’évaluation ergonomiques

2.1    Définition d’une grille d’évaluation des situations de travail

Il s’agit d’une méthode de collecte et de traitement de données permettant de quantifier des paramètres afin de produire une évaluation de plusieurs situations les unes par rapport aux autres sur les paramètres choisis.

2.2    Les types de grilles spécifiques et standardisées

2.2.1        Les grilles spécifiques à une situation de travail

L’analyse du travail dans une approche clinique peut aussi s’appuyer sur des grilles d’observation afin de mettre en évidence un phénomène particulier en dénombrant la survenue d’un événement. Par exemple, l’outil KRONOS permet de faciliter la collecte de ces données en les situant précisément dans le temps au cours du déroulement de l’activité. Les paramètres sont définis par celui qui analyse la situation ; ils peuvent concerner des prises d’information, des postures, des communications verbales ou non, etc.

2.2.2        Les grilles spécifiques à une entreprise (spécifique à une typologie de poste)

Dès lors que des critères sont jugés pertinents pour l’analyse d’un poste, ceux-ci peuvent être réutilisés pour analyser des postes similaires dans une même entreprise. La grille spécifique peut-être standardisée pour l’entreprise concernée.

Par exemple, la grille Renault ou l’outil « METEO » de PSA Peugeot Citroën sont des grilles d’évaluation spécifiques à l’entreprise. Toutes deux ont une approche généraliste intégrant un grand nombre de paramètres.

2.2.3        Les grilles standards préétablies

2.2.3.1         Grilles généralistes

Par exemple, la grille APACT contient 22 critères très variés de la posture de travail aux ambiances lumineuses en passant par l’autonomie du groupe, la charge mentale, l’environnement social, etc. La plupart des critères sont traités au travers d’une question ou d’une check-list. Quelques critères comme la manutention par exemple sont traités par 4 paramètres : la posture, la combinaison fréquence/poids, la qualité de la prise et le déplacement. Chaque critère donne lieu à une cotation qui est reportée sur la grille afin de représenter le « profil » du poste.

2.2.3.2         Grilles thématiques

Par exemple la grille d’évaluation du NIOSH détermine la limite de poids d’une charge pour le port de charge à deux mains sans déplacement. Il est difficile de faire plus ciblé !

2.2.4        Un faux débat sur les grilles

Beaucoup d’ergonomes se positionnent contre les grilles, car elles ne traduiraient pas la situation « réelle » de travail, laquelle ne pourrait être analysée que dans le cadre d’une approche clinique (spécifique à chaque situation). Ce n’est cependant pas la grille en tant que telle qui doit être mise en cause, mais le fait que les critères pris en compte soient préétablis. En effet, la formalisation d’une analyse du travail se traduit nécessairement par des catégories, des appréciations, des mises en correspondances de phénomènes… tous ces éléments peuvent être présentés synthétiquement sous une forme pouvant ressembler a posteriori à une grille. La différence fondamentale est que cette grille ne pouvait être construite avant l’analyse.

Un autre point important à relever est que l’approche clinique ne peut se passer dans un certain nombre de cas, d’une collecte de données (approche quantitative). Ces données et leur traitement permettent de mettre en évidence des phénomènes qui ne pourraient l’être autrement parce qu’étalés dans le temps, dans l’espace ou se référant à des quantités difficiles à apprécier sans outil. Ces éléments sont précisément ceux évoqués précédemment dans l’utilisation de l’outil KRONOS. Dans ce cas, la grille est un outil d’analyse tout à fait scientifique et adapté à une situation particulière. A noter que papier, crayon et montre sont des outils plus anciens que KRONOS.

La question n’est donc pas de rejeter ou non les grilles d’analyse, mais de savoir si les critères prévus dans la grille sont pertinents par rapport à la situation étudiée et à l’objectif visé.

A quels objectifs répondent les grilles ?

2.3    Les différentes visées des méthodes de quantification :

2.3.1        Objectifs pédagogiques

Une grille d’analyse peut être utile pour former ou sensibiliser aux contraintes à prendre en compte dans l’analyse du travail. C’est là l’objectif de la grille du LEST élaborée par Guy Roustang et son équipe au Laboratoire d’Economie et de Sociologie du Travail (CNRS Aix-en-Provence) dans les années 1975. On y trouve de nombreux paramètres : ambiances physiques, charge physique, charge mentale, aspects psychosociologiques, temps de travail.

Les biais liés aux grilles ont peu d’impact dans le cadre d’objectifs pédagogiques. Une approche pédagogique est forcément réductrice : il ne s’agit pas d’un débat d’experts, mais de la transmission d’une notion que l’on cherche à illustrer. Dans ce cadre, l’utilisation d’une grille comme celle du LEST peut être un support de formation parmi d’autres, dont les biais sont contrôlés par la présence de l’ergonome formateur.

2.3.2        Objectif de présentation de résultats d’analyses

Cet aspect est proche de l’objectif pédagogique en ce sens qu’il vise à simplifier l’analyse à quelques critères faciles à comprendre et permettant de comparer une situation de travail à une autre.

2.3.3        Objectif d’aide à la décision et de suivi (cartographie des postes)

L’état des lieux de tous les postes (une approche poste par poste est déjà un parti pris) peut être établi à l’aide d’une cartographie sur un ou plusieurs critères, par exemple la charge physique. Cette cartographie permet d’établir des priorités d’action, des budgets et des indicateurs de l’état d’avancement des améliorations. Il s’agit dans ce cas d’un outil d’aide à la décision et de suivi pour les décideurs.

Une cartographie permet aussi de simuler les améliorations avec tel ou tel type d’aménagement.

2.3.4        L’objectif d’aide à la conception (sorte de norme élaborée)

Ce type de grille permet de sous-traiter une partie de l’amélioration des postes sur les problèmes les plus simples et récurrents. Par exemple, un poste coté pénible du fait de postures très défavorables pourra être amélioré par un technicien qui aménagera le poste de façon à améliorer le résultat de la grille. Dans ce cas, l’outil oriente fortement le diagnostic donc la solution.

2.3.5        L’objectif de diagnostic

La grille est considérée comme permettant de fournir un diagnostic de la situation. C’est le cas des grilles spécifiques à une situation (le diagnostic ne peut pour autant se réduire à celle-ci), mais ce ne peut être le cas des grilles préétablies évoquées précédemment puisque précisément elles sont préétablies. Considérer une grille préétablie comme un outil de diagnostic est un biais couramment rencontré.

2.3.6        Objectif d’enquête épidémiologique

Par exemple, le questionnaire sur les troubles musculosquelettiques de l’INRS (de 1995 remis à jour en 2000) présente 127 questions sur les caractéristiques des personnes, les troubles qu’ils subissent, leurs conditions de travail et leur vécu au travail.

L’enquête Summer permet de dresser une cartographie des expositions des salariés aux principaux risques professionnels. Elle comprend plusieurs questionnaires dont l’un regroupe quelque 500 questions.

2.3.7        Notes

Chaque objectif, poursuivi par les différents experts qui conçoivent les grilles, va se traduire par certains types de grilles. Ces outils peuvent être construits selon différentes logiques :

2.4    Les logiques de conception des grilles d’analyse standards :

Indépendamment de la variété des paramètres pris en compte, les grilles standards répondent à 3 logiques différentes :

2.4.1        Logique d’alerte : recherche de simplicité

La grille a pour objectif de détecter des éléments négatifs à corriger. C’est une méthode binaire : le poste contient des éléments pénalisants pour l’opérateur ou non. Cette approche est assez bien adaptée à l’adéquation homme-poste. Par exemple : pas de travail bras en l’air pour un cardiaque. La méthode consistera dans ce cas à constater ou non si le poste nécessite de lever les bras au moins une fois ; la durée durant laquelle les bras sont levés ne sera pas forcément prise en compte.

Il s’agit d’une grille de cotation de l’opération, du geste. Les normes AFNOR sont dans une logique d’alerte ; la méthode Renault suit aussi une logique d’alerte en cotant l’opération la plus difficile d’un cycle et non la totalité des tâches.

Ce type d’approche ne convient pas aux objectifs pédagogiques ou de diagnostic ; cette approche est plutôt utilisée pour établir des plans d’action et faciliter le suivi.

2.4.2        Logique d’évaluation : recherche d’exhaustivité

Toutes les opérations d’un cycle de travail sont cotées et l’ensemble du poste est évalué en proportion du temps passé à réaliser des opérations difficiles par rapport à la durée totale des opérations. Ainsi, toute chose égale par ailleurs, un poste coté 5 sera plus pénalisant qu’un autre coté 3 sur un même critère. Cette approche permet de classer les situations.

Il s’agit d’une grille de cotation du poste. La méthode METEO de PSA Peugeot Citroën est plutôt une grille suivant une logique d’évaluation (même si son système de majoration introduit une logique d’alerte).

Cette méthode est adaptée à la présentation de diagnostic et à l’établissement de plans d’action. Les logiques utilisées dans les enquêtes épidémiologiques visent aussi à prendre en compte le plus de paramètres possible.

2.4.3        Logique de mesure scientifique : recherche de justesse et précision

Une batterie de tests donne une valeur « objective » de l’importance d’un phénomène. Cette logique induit une démultiplication de paramètres pris en compte pour un même critère afin d’essayer d’être le plus juste possible et le plus exhaustif.

Il s’agit d’une grille de cotation d’un paramètre. La méthode du NIOSH en est un exemple.

2.5    Synthèse sur les typologies de grilles

Les grilles ont des profils différents selon leur position sur les différents axes décrits : de spécifique à préétablies, de thématique à généraliste, d’une logique d’alerte à une mesure « scientifique ». La position des grilles sur ces axes les rend plus ou moins pertinentes par rapport à certains objectifs.

Chaque axe induit des contraintes conduisant la construction des grilles vers certaines caractéristiques qui constituent des biais. Voyons ci-après quelques limites des grilles.

3     Limites et écueils des grilles et leur usage

3.1    Les grilles standards préétablies ; inadaptées par nature

Les situations de travail sont à la fois très différentes et toutes complexes. L’établissement de critères d’analyse préétablis, non spécifiques à des types de postes, pose de nombreux problèmes :

3.1.1        Pour les grilles généralistes :

Peu pertinentes, car trop lourdes : pour pallier à la diversité des situations et aux multitudes de critères qui doivent être pris en compte, les grilles peuvent parfois comporter un grand nombre d’items. Cela se traduit par trois effets notables :

-De nombreux critères sont sans objet ou sans intérêt. Ainsi, le critère vibration recevra une cotation nulle pour des postes qui ne sont soumis à aucune vibration ; une valeur similaire sera recueillie sur la température d’un poste à l’autre si l’atelier présente une ambiance thermique homogène, etc.

-Les durées de renseignement de grille sont très longues. Ceci est acceptable dans une démarche pédagogique comme la démarche du LEST, mais commence à être chronophage dans une démarche systématique de cartographie.

-Un traitement trop complexe. Plus le nombre de paramètres sera important et plus il sera difficile d’en faire la synthèse, si tant est qu’une synthèse soit possible.

Peu pertinentes, car trop simplistes : pour éviter des questions trop nombreuses et des traitements trop complexes de données, certaines grilles se contentent de peu de questions au risque de manquer de pertinence :

-s’il manque de trop nombreux critères, le résultat n’aura aucun sens.

-si chaque critère est traité «  trop » grossièrement. Par exemple, la check-list OSHA qui vise à dépister les facteurs de risques TMS, se limite, pour les efforts de port de charge à déterminer s’il y a ou non une préhension de charge de plus de 5 kg. Cette approche est assez sommaire lorsque l’on est confronté à des situations où les efforts courants sont plutôt situés entre 10kg et 30kg. Par ailleurs, un effort n’a pas vraiment de sens s’il n’est pas croisé avec une fréquence et des conditions d’exécution (posture, vitesse, etc.).

3.1.2        Pour les grilles thématiques :

Trop complexes et trop ciblées (approche de « mesures scientifiques ») : D’autres outils se centrent sur un thème très particulier tel que le port de charge à deux mains sans déplacement pour le NIOSH. Les postes concernés spécifiquement par le port de charge sont en réalité assez rares ; généralement les personnes réalisent aussi d’autres opérations. Par ailleurs, même centré sur un thème, l’outil n’en demeure pas moins compliqué avec de multiples paramètres et coefficients.

3.1.3        Conclusion

Du fait de sa standardisation, une grille ne pourra pas s’adapter à toutes les situations. Les grilles préétablies sont inappropriées par nature.

 

3.2    Les logiques d’alertes sont souvent mal utilisées

Certains outils de cotation de poste sont construits sur une logique d’alerte. Comme évoquée précédemment, la logique d’alerte est adaptée à la cotation d’une opération et non d’un poste. Il en résulte une incohérence forte entre le résultat de la cotation et ce qui peut être ressenti sur le poste.

Par exemple, cela peut consister à retenir pour le poste la cotation de l’opération la plus sollicitante indépendamment du temps de cycle. Certes, réaliser un effort important toutes les minutes n’est pas forcément satisfaisant, mais cela n’est pas équivalent au fait de réaliser 3 ou 4 opérations difficiles toutes les minutes. Par ailleurs, un poste ayant une opération difficile peut être facile à tenir si le temps de récupération est suffisant. L’évaluation d’une opération isolée ne peut donc pas être associée à l’appréciation d’un poste.

Les cotations de postes étant souvent communiquées, cette incohérence entre les périmètres opérations/postes peut être source de difficultés.

3.3    Limites pour toutes les grilles d’analyse de postes

Même lorsque les grilles sont construites par des ergonomes pour un type de situation de travail, il existe de nombreux biais :

3.3.1        Pas d’évaluation exhaustive possible

Même les outils tenant compte de la globalité du poste et conçus pour une entreprise particulière présentent nécessairement des limites. Par exemple, un outil comme celui utilisé au sein de PSA Peugeot Citroën effectue, sur un critère physique (le critère A1), une évaluation qui tient compte des efforts, des postures et des durées pour chaque opération. Le résultat est pondéré par le temps : [durée de l’opération x indice de pénibilité] / somme des temps = cotation. Cette approche permet, la plupart du temps, d’être assez cohérent entre ce que ressentent les opérateurs et l’évaluation du poste. Néanmoins, certains aspects physiques importants restent mal évalués.

3.3.1.1         Mauvaise évaluation des efforts statiques

Ce mode de cotation (décrit ci-dessus), assez proche d’un calcul de dépense énergétique ne convient pas à l’évaluation d’un certain nombre de paramètres tels que les efforts statiques. Il peut en résulter des cotations moyennes pour des postes qui peuvent être très difficiles à tenir, compte tenu de postures maintenues ou de sollicitations de muscles isolés (le travail statique conduit à un épuisement extrêmement rapide du muscle concerné associé à une augmentation rapide de la fréquence cardiaque).

Il aurait fallu s’attacher à définir des critères de durée de maintien, mais cela aurait alourdi la méthode (déjà assez complète) alors que les efforts statiques sont plutôt peu fréquents (mais pas absents) pour les postes concernés.

Cependant, même les efforts dynamiques ne sont pas tout à fait évalués :

3.3.1.2         Pas de prise en compte de la puissance mise en œuvre

Plus une opération pénalisante est réalisée rapidement, et moins celle-ci est valorisée dans la cotation. Ceci s’explique par le mode de calcul qui pondère les cotes par la durée de l’opération. Ainsi une opération qui se réalise en 6 secondes apparaitra plus lourde que la même opération réalisée en 3 secondes alors que la vitesse de réalisation augmente considérablement l’énergie requise (et le risque de se faire mal).

Là aussi, la prise en compte des différentes variables temporelles aurait grandement complexifié l’outil.

3.3.1.3         La variabilité interindividuelle et subjectivité

Même assez cohérente entre évaluation et ressentit, il reste des frontières infranchissables. Par exemple, la cotation ne tient pas compte des variabilités interindividuelles qui font qu’un individu A dépensera peut-être moins de Kcal dans une situation coté 4 qu’un individu B dans une situation côté 3; ceci en fonction de l’âge, de l’expérience acquise, de la motivation de l’opérateur et des exigences de résultats qu’il se définit, du type de fibre musculaire dont dispose majoritairement l’opérateur, de sa taille, de son tour de main, etc.

Ce à quoi il faut ajouter le sens donné aux effets du travail ; ce qui se traduit par des perceptions différentes.

Le travail ne se réduit pas à des contraintes mesurables.

3.3.1.4         Conclusion

Les carences évoquées à propos du facteur physique de la cotation METEO de PSA Peugeot Citroën ne sont pas exhaustives. De nombreux points faibles évoqués pourraient être pris en compte, mais cela aboutirait à une gigantesque base de données à partir de laquelle il serait impossible d’avoir un résultat d’évaluation valable compte tenu de l’extrême complexité des règles de calcul qui en résulterait.

Le nombre de paramètres (si tant est qu’ils puissent être tous définissables) et les possibilités de combinaisons sont tels que l’exhaustivité est définitivement inatteignable.

3.4    Les biais sémantiques

Un thème d’actualité, la pénibilité, peut illustrer ce biais. Concevoir une grille pour évaluer la pénibilité des postes revient à penser que la pénibilité puisse se réduire à une liste de critères qui seraient exhaustifs et évaluables « objectivement ». Ceci est contradictoire avec les éléments subjectifs que recouvre cette notion. Quelle que soit la conception de l’outil et sa visée, sa seule existence (du fait de sa dénomination) tend à faire croire à un lien évident entre les critères et le thème ou la notion que l’on cherche à évaluer.

Il en est de même concernant le risque d’apparition de troubles musculo-squelettiques. Absolument aucune grille ne peut évaluer le risque TMS dans la mesure où personne ne connait à ce jour le poids relatif des différents paramètres identifiés comme causes possibles, que ces causes soient externes (répétitivité, stress, etc.) ou internes (prédisposition, troubles hormonaux, etc.).

L’incohérence entre l’ambition affichée de certaines grilles et la capacité réelle d’évaluation fait parfois injure au sens commun.

3.5    Risque d’enfermement interprétatif

Le résultat d’une grille peut conduire à s’enfermer dans le « diagnostic » qui est proposé ; en particulier lorsque l’incomplétude de l’outil n’est pas parfaitement comprise. Certains ergonomes peuvent parfois être absorbés par cette approche et ne plus être en mesure de voir d’autres perspectives que celles présentées par ces outils à l’intention des techniciens des méthodes. Ce biais est lié à la confusion entre le résultat chiffré et le diagnostic en oubliant que ce dernier ne s’obtient qu’à travers l’interprétation de résultats.

4     Les bienfaits des grilles d’analyse

En toute chose, il faut savoir raison garder. Les grilles d’évaluation ne sont que des outils qui présentent des avantages et des inconvénients, qui sont adaptés à certains objectifs et non à d’autres.

Les grilles sont des moyens de collecte de données qui offrent les avantages suivants :

-Identifier ou quantifier des paramètres importants à prendre en compte par les méthodes. Par exemple, le fait d’intégrer des critères supplémentaires au temps dans les gammes de travail permet de faciliter leur prise en compte au moment de la définition du travail prescrit.

-Les résultats des grilles, simplificateurs, facilitent la communication des enjeux vis-à-vis des décideurs, et donc la conduite des actions.

-Elles permettent des croisements de données. Par exemple, une corrélation entre une évaluation des difficultés de montage et des problèmes qualité a pu être établie sur plusieurs milliers de pièces pour un atelier de montage à PSA Peugeot Citroën. Ce type de traitement permet de mettre en évidence, de démontrer, ce que par ailleurs les ergonomes connaissent déjà dans le principe.

Se passer de telles approches revient à amputer le métier d’un moyen d’action efficace.

Certes, l’approche reste incomplète. Mais même si le tour de main et d’autres critères ne sont pas pris en compte, le fait de devoir soulever à un mètre plutôt qu’à un mètre cinquante une masse de 20kg est en soi une amélioration significative ! Faire prendre en compte ce point par les méthodes afin que plusieurs dizaines de postes soient revus en ce sens est extrêmement efficace. Ceci n’enlève rien à la nécessiter de faire plus ; cette démarche n’est pas une fin, mais une étape.

 

5     Construire une grille : éléments de méthode

5.1    La finalité d’une grille ; diagnostic préalable nécessaire

Une grille est un moyen et non une fin. Les aspects techniques de sa construction ne doivent pas faire oublier les objectifs que l’on poursuit. 3 points sont à prendre en compte :

5.1.1        La situation et le besoin exprimé

La mise en place d’une grille nécessite un investissement de temps non négligeable. Sa mise en œuvre doit correspondre à un nombre de postes importants (à partir de 50 ou 100 postes) et à des attentes fortes de démarche globale d’amélioration suivie par la direction de l’entreprise. Cette démarche doit impliquer le service méthode qui conçoit les postes.

Les postes doivent avoir un minimum d’homogénéité. Certaines entreprises industrielles sont constituées de nombreux petits ateliers ayant des équipements différents et parfois des métiers différents. Dans ce cas une grille pertinente pour un atelier ne le serait plus pour les autres.

5.1.2        Diagnostic des situations de travail

Il s’agit d’analyser un échantillon de postes représentatifs sélectionnés après un pré diagnostic très rapide et en accord avec les différents acteurs de l’entreprise (exploitants, méthodes, etc.). La perspective n’est pas d’améliorer un poste en particulier, mais de repérer les paramètres qui peuvent être améliorés systématiquement et qui apporteraient une amélioration significative sur l’ensemble des postes.

Les paramètres retenus doivent tenir compte de la faisabilité des transformations.

5.1.3        Diagnostic de l’organisation des méthodes et du management

Une grille ergonomique peut produire un indicateur qui sera pris en compte avec d’autres indicateurs préexistants (indicateurs de production, taux de rendement synthétique, indicateur qualité, indicateurs RH, etc.). Il est donc important de comprendre comment est organisée l’entreprise et comment sont construits ces outils de suivi. Comme pour tout outil, la grille doit être « ergonomique » de façon à s’intégrer facilement dans les outils existants, voire faciliter le suivi d’autres paramètres.

5.2    Le statut que l’on accorde à la grille, et démarche de construction

Si une grille doit être construite, l’important ne se situe pas dans son résultat (faux par nature), mais dans sa cohérence interne et dans les conditions d’utilisation.

Ainsi l’ergonome ne détermine pas nécessairement les valeurs de seuils. Celles-ci sont déterminées de façon arbitraire en fonction de la sensibilité des interlocuteurs et de la culture locale. En effet, qu’est-ce qu’une charge de travail importante ? La réponse ne peut être la même d’un individu à l’autre, d’un métier à l’autre, d’une entreprise à une autre.

Par contre l’ergonome doit pouvoir

  • définir ce que l’on cherche à évaluer/améliorer,
  • déterminer le type de variable retenue,
  • décrire le produit des interactions entre les paramètres,
  • aider l’entreprise à définir des seuils pertinents (rapport entre investissement et améliorations ressenties),
  • définir les progressions à retenir (l’aspect discriminant de l’indicateur).

 

5.3    Aspects techniques ; les erreurs à éviter

5.3.1        Ne pas mettre de variables ordinales, là où elles peuvent être d’intervalles

5.3.1.1         Variables évaluables sur une échelle ordinale :

Echelles ordinales : « ensemble d’observables muni d’un ordre total »[1]. Cela correspond au système de cotation. Par exemple, l’angle d’une articulation peut-être coté 1 en « position de confort », 2 lorsqu’il dépasse une certaine limite, 3 lorsqu’il qu’il atteint un seuil jugé très sollicitant d’un point de vue biomécanique.

5.3.1.2         Variables évaluables sur une échelle d’intervalle :

Echelles d’intervalles : « non seulement les catégories sont ordonnées, mais les distances qui les séparent sont parfaitement estimées »[2]. Ces variables peuvent être la fréquence ou l’effort fourni.

5.3.1.3         Exemple de mauvaises variables :

Une situation qui exige des efforts de 2 à 5 kg à une fréquence horaire comprise entre 60 et 120 (cas B et C du tableau ci-dessous) est jugée plus sollicitant qu’une situation qui exige des efforts de 0 à 2 kg à une fréquence horaire inférieure à 60 (cas A du tableau ci-dessous). Il existe bien une relation d’ordre entre les deux situations. 

Efforts (Kg) 0 1 2 3 4 5
Fréquences            
20            
40   A        
60     B      
80            
100            
120           C

L’inconvénient de ces croisements est lié aux effets de seuils : en effet on se rend compte assez facilement que la situation B est plus proche de la situation A alors qu’elle est classée au même titre que la situation C.

La variable ordinale se justifie lorsqu’il s’agit d’ordonner les postures ou les angulations; il est absurde cependant de se priver de l’information concernant la distance entre deux valeurs lorsqu’elle existe.

Lorsque les paramètres s’y prêtent, il est intéressant d’utiliser des variables d’intervalle. Ainsi une situation avec des efforts à 2 kg et une fréquence à 40 représente « objectivement » 4 fois moins de charges transportées qu’une situation avec des efforts à 4 kg et une fréquence à 80.

5.3.2        Ne pas faire de moyennes sur des variables ordinales !

Le résultat d’une cotation est ordinal (de fait) ; par exemple, un poste coté 1 sera jugé « facile » et un poste coté 5 sera jugé « pénible ». Certains ergonomes ont pu faire des moyennes de cotations pour l’ensemble d’un atelier. Or, une moyenne de cotation de 3,2 n’a absolument aucun sens. Le seul traitement pertinent est de connaître le nombre de postes jugés prioritaire en termes d’amélioration. Faire des proportions pour chacune des catégories permet de présenter une cartographie des postes. La moyenne des catégories n’a aucun sens !

5.3.3        Ne pas être discriminant

Il est possible d’être ambitieux et de définir des seuils assez bas par rapport à la situation de l’entreprise. Le principe est louable. Néanmoins, si le résultat de la cartographie présente une forte proportion de postes pénibles cela signifie que l’outil n’est probablement pas en mesure de mettre en évidence des différences importantes entre de nombreux postes. Des catégories supplémentaires peuvent alors être envisagées : « très pénibles », « inacceptables », etc.

5.3.4        Ne pas mélanger les principes d’alerte, d’évaluation et de mesure

Il est possible d’associer une logique d’alerte à une méthode d’évaluation en y associant des majorations à la cotation finale lorsqu’un certain nombre de conditions sont remplies. Cette pratique n’est pas rigoureuse lorsqu’elle associe un événement isolé (non relatif) à des variables continues (appréhendées relativement les unes par rapport aux autres) puisqu’elle est susceptible d’annuler la relation d’ordre entre les cotations et/ou l’objectif d’alerte.

5.3.5        Oublier que la progression des cotations relève d’un choix :

Selon ce que l’on mesure, et ce, quelle que soit la variable retenue, la valeur résultante doit suivre une progression « choisie ». La progression peut être arithmétique (linéaire) ou géométrique (exponentielle).

Le croisement de deux variables peut donner lieu à une cotation dont la progression est linéaire ; une droite du type a (x) + b. Faire varier a permet de modifier la pente de la droite et d’être plus ou moins discriminant. Par exemple, le poids multiplié par la fréquence horaire est très discriminant (1 kg x 40/h = 40 ; 4kg x 80/h=320). Diviser le résultat par un coefficient « a » (du type 1/1000) permet de baisser la pente de la droite. L’ajout d’un « b » du type « +1 » permet d’éviter la valeur 0.

Il est aussi possible de considérer qu’une progression peut être faible sur les premières valeurs et s’accentuer par la suite.

5.3.6        Ne pas décrire les mécanismes de calculs retenus (la plus grande des erreurs)

Le résultat d’une grille n’étant pas juste en soi, il est nécessaire d’accompagner sa conception d’une explication des choix réalisés et des attentes. Toute grille doit pouvoir être remise en cause et évoluer.

Par ailleurs, il est nécessaire de fournir à toute personne qui le souhaite les éléments nécessaires à l’interprétation des résultats. Aucune interprétation valable ne peut être produite sans connaitre les mécanismes qui conduisent à un résultat. Raison pour laquelle il ne faut pas utiliser de grille que l’on n’aurait pas su construire soi-même.

6     Exemple de conception d’une grille simple

6.1.1        Contexte

Dans le cadre d’un accompagnement général d’une entreprise industrielle, le service logistique a souhaité améliorer ses situations de travail au même titre que les lignes de montage. Implicitement, l’objectif était aussi de pouvoir comparer les situations de travail entre les postes de logistique et les postes de ligne afin de plus peser dans les arbitrages entre postes de logistique et postes de ligne. En effet, la fabrication fait valoir une fréquence de prise de pièce importante qui justifie des positionnements de bacs à « bonne hauteur » pour l’opérateur de ligne, au détriment dans certains cas de l’opérateur de logistique qui livre les bacs.

Les situations de travail concernent le rangement du stock en magasin, la sortie du stock pour le positionnement sur des chariots de distribution et la livraison à poste. Ces situations sont fortement marquées par le port de charge répétitif et par la hauteur des prises (ce qui est assez classique en logistique compte tenu de la recherche de réduction des surfaces occupées).

6.1.2        La méthode quantitative est adaptée

Indépendamment de cette attente, une approche quantitative est utile pour appréhender certains aspects de la situation de travail : nombre de bacs livrés, leur poids, leur hauteur de dépose, etc. La difficulté réside dans la diversité importante des références : approximativement 3000 situations de déposes différentes (une même référence peut être déposée à deux postes différents à une hauteur différente).

6.1.3        L’évaluation retenue

La logique retenue pour un premier indicateur est d’identifier les bacs qui ne sont pas acceptables du fait de leur poids et/ou de la hauteur de dépose. Une matrice hauteur/poids est définie ; les résultats sont distingués par 4 seuils définissant les situations inacceptables, améliorables, acceptables, satisfaisantes. C’est une cotation à l’opération. La liste des références « inacceptables » peut être éditée pour cibler les actions d’amélioration.

Deux paramètres permettent une amélioration : réduire le poids en mettant moins de pièces par bac (ce qui augmente le nombre de réapprovisionnement), adapter la hauteur de dépose (ce qui n’est pas toujours possible compte tenu des contraintes des postes en ligne).

Une troisième variable (récupérable dans le système) est la fréquence de livraison des bacs. Il est préférable d’améliorer la dépose d’un bac livré 4 fois par jour plutôt que d’un bac livré une fois par semaine.

L’indicateur de suivi ne doit donc pas être le nombre de bacs améliorés, mais la fréquence horaire de dépose de bac de chaque catégorie. Ainsi, pour une zone de distribution il est possible de déterminer 44 bacs par heure jugés inacceptables pour 172 bacs déposés par heure.

Note : la fréquence par zone est retenue, car il n’est pas possible de rattacher une référence à chacun des postes et donc de regrouper les fréquences par poste. Cette information sera rentrée dans les systèmes d’information à terme.

6.1.4        Aspects techniques, base de données

Les données sont extraites du système d’information pour être traitées dans une base Access (le croisement des données utiles au traitement n’est pas possible dans le SI). Des données complémentaires sont saisies : le poids des bacs ainsi que l’adressage peuvent être retrouvés dans le système d’information de la logistique, mais pas la hauteur de dépose. Des données ont été collectées en ce sens.

La cotation est effectuée dans une feuille Excel (plus simple pour certaines formules) et le regroupement des fréquences horaire par catégorie de prise ou dépose est réalisé à l’aide d’un tableau croisé dynamique.

6.1.5        Aspect technique de construction de grille

Le jour où l’analyse pourra fournir un résultat au poste, l’outil n’indiquera pas pour autant si un poste est difficile ou non (il indique juste la fréquence d’événement souhaitable ou non). De ce point de vue, l’outil suit plutôt une logique d’alerte avec une cotation à l’opération. Néanmoins, le regroupement des 4 catégories de bacs selon une fréquence horaire permettra une comparaison, comprise par tous, entre les postes sur le critère combiné poids/hauteur. De ce point de vue, l’outil présente des avantages que l’on retrouve dans des outils construits sur une logique d’évaluation.

Un point important est la possibilité dans l’outil de faire facilement varier les seuils de cotations pour construire l’indicateur avec les interlocuteurs de l’entreprise.

6.1.6        Les effets attendus

Cet outil ne permettra pas de comparer les postes de logistique avec les postes en ligne (l’intérêt est faible ; la conception complexe ; le résultat incertain), mais permettra de réduire les sollicitations des opérateurs logistiques en ciblant les bacs les plus sollicitant.

Un autre aspect important (à terme) est la possibilité d’utiliser l’outil pour équilibrer les circuits compte tenu de la difficulté. Certains circuits contiennent plus de bacs lourds et l’espace disponible ne permet pas forcément de placer tous ces bacs à une hauteur souhaitée. Les circuits peuvent alors être dimensionnés en fonction d’une limite de nombre de bacs à l’heure selon les types de bacs.

7     Conclusion

Dénombrer des événements pour comprendre un phénomène est utile en sciences sociales et science de la vie et par conséquent en ergonomie. Cela permet de prendre en compte des éléments difficilement observables. La seule approche clinique, l’analyse du particulier, n’est pas toujours suffisante pour comprendre les mécanismes en jeux dans le travail.


[1] Jean-Pierre Rossi & Al, La méthode expérimentale en psychologie, coll Dunod, ed Bordas, 1989.

[2] idem